Saute dans tes pieds !
Petite philosophie du haut et du bas pour dissiper les tensions inutiles et reprendre son équilibre
Un précepte du Tao dit :
Vider le haut
Remplir le bas
Quelle lecture en faire ?
On peut entendre ici « le haut » comme ces régions du corps où grésillent et se fixent nos imaginations anxieuses, sous forme de tensions musculaires.
Le haut, c’est en somme le siège en nous des inquiétudes, des cogitations, des mentalisations répétitives. De fait, on constate que c’est bien souvent dans la nuque, la mâchoire, les paumettes, la bouche, les trapèzes, les épaules, que se concentrent les tensions musculaires qui s’accroissent avec notre état de stress, de préoccupation, le besoin de contrôler les choses qui naît quand on est confronté à l’hostilité ou l’incertitude.
Le haut devrait être léger. Or il s’alourdit avec la cogitation frénétique, quand notre cerveau s’emballe, et tourne en rond, dans un effort sans fin pour anticiper les choses, pour se prémunir contre tout ce qui pourrait mal tourner, contre les risques, etc. De la même manière quand on est pris par la culpabilisation, le jugement sur soi et sur les autres, et qu’on mouline sans fin.
Vider le haut, cela peut donc s’entendre, pratiquement, comme un commandement à laisser toutes ces tensions incorporées dans le corps se défaire, se dénouer.
Par exemple, pouvez-vous à cet instant porter votre attention dans vos épaules, votre mâchoire, votre nuque ? Prenez une minute. Repérez-vous des tensions inutiles ? Pouvez-vous voir qu’en prendre conscience suffit à les soulager ?
Nous pouvons ainsi imaginer, par un exercice de visualisation-relaxation, qu’on laisse ces tensions glisser vers le bas, comme par un effet de gravité, du cerveau vers le coeur, de la tête vers la poitrine, des épaules jusqu’au ventre, au bassin, jusqu’aux pieds, jusqu’à la plante des pieds et l’extrémité des orteils, jusqu’à les laisser se dissiper dans le sol qui nous porte — de la même manière qu’on laisserait glisser de nos épaules jusqu’à terre un manteau alourdi de toutes nos tensions, de toutes nos gênes, de toutes nos peurs.
Voyez que c’est cela que l’on trouve aussi dans une activité physique, un loisir, un sport, aller marcher, courir, etc. On y débranche un peu la pensée qui boucle sur elle-même, pour retrouver l’expérience directe, concrète, sensible, du corps qu’on libère ainsi par un autre geste.
Quand on se perd dans l’inquiétude, Quichotte pourfendant les géants de ses imaginations, se rétablir comme un gymnaste, par cet appui dans la sensation.
Ce que dit ce simple précepte, vider le haut remplir le bas, c’est donc d’abord cette nécessité de faire retour au corps, à la sensation basique du corps, comme un précieux remède, quand on s’est trop égaré dans la nuée des hypothèses et des scénarios, qu’on remâche et qu’on rumine, qu’on scrolle sans fin des écrans ineptes à la recherche de la dose de dopamine, et que l’on consomme ainsi une énergie inutile, une sorte d’électricité statique et brouillonne.
Remplir le bas dit autre chose : l’importance de se poser dans le ventre, dans le hara, dans le centre de gravité de notre corps, et retrouver ainsi toute son assise. Encore une fois une question d’harmonie, de justesse et d’équilibre. Le hara représente aussi la “racine du souffle” (quand notre respiration est libre, l’inspir naît dans le ventre, et l’expir y revient). C’est donc un principe de force et de présence, en rapport avec une conception fréquente dans les médecines asiatiques, qui image le hara (zone située sous le nombril, posée dans le bassin) comme le réservoir de nos énergies.
Et du reste, ça n’est pas qu’une conception orientale. Saute dans tes pieds ! disent les Amérindiens. Et l’on peut entendre là un même mouvement, ce moyen que nous avons toujours de nous reconnecter à la réalité concrète, par un ancrage. Tu es à côté de tes pompes, à côté de la plaque ? La colère t’emporte, ou la peur, ou la confusion ? Tu es perdu ? Va faire un tour, va dans la nature, trouve un endroit, une prairie, une clairière, un arbre, n’importe quel endroit libre sous le ciel, laisse ton corps trouver la place qui lui convient, et là, saute dans tes pieds !
Bonne journée !