C'était un directeur financier, dans une grande entreprise para-publique. On lui avait prescrit un "coaching" parce qu'il commençait à y avoir quelques remous dans les couloirs. Il faut dire qu'on entendait de temps à autre ses hurlements jusqu'aux ascenseurs. Alors, il se répandait en injures sur ses n-1, qui étaient aussi des directeurs (tous des hommes). Certains vivaient très mal cela, d'autres s'étaient fait une raison, avaient trouvé la bonne distance à l'égard de ce boss qui parfois "pétait une durite". L'un d'eux tout de même en avait eu assez, et avait déclenché une alerte sociale. D'où ma présence sur les lieux.
Je rencontrais cet homme. C'était un colosse, qui en imposait physiquement par sa carrure et sa voix de stentor. Son chef louait son engagement, sa loyauté à l'entreprise, sa disponibilité, mais pointait aussi quelques "dérapages". Lui admettait exagérer parfois, et prétendait vouloir changer cela, mais ce n'était qu'une façade. Je m'aperçus rapidement qu'il considérait son comportement comme normal, inévitable. N'était-il pas normal, me dit-il, qu'un père attentif corrige ses enfants quand ils ne font pas comme il faut ? Malgré ses déclarations, il n'était pas question pour lui de changer quoi que ce soit à ses manières de manager.
Avec moi, il était très urbain, cherchant une connivence, à m'amadouer, se préoccupant de ma famille, se plaçant dans le registre commun de pères de famille qui savent la nécessité d'exercer une autorité sur leur progéniture. Il était animé de bonnes intentions (faire fonctionner son service, satisfaire ses supérieurs), mais son rapport à l'autorité était militaire, pour ne pas dire totalitaire. De même qu'il ne contestait jamais les demandes de ses supérieurs (on comprend pourquoi il était apprécié en haut lieu), il ne tolérait pas que ses directeurs ne répondent pas aux siennes avec le petit doigt sur la couture du pantalon. Cela tenait sans doute à sa culture d'origine, à son éducation, à sa vision très territoriale de son pouvoir.
Un jour, nous discutions, et je fis une remarque sur la possibilité qu'il avait de déléguer certaines décisions à son équipe. Que n’avais-je pas dit ! D'une seconde à l'autre, son visage changea, devint livide. J'avais par mégarde activé un trigger, appuyé sur le bouton rouge. Je tentais d'expliquer mon argument. Mais tout à coup il ne comprenait plus rien de ce que je pouvais lui dire. J'avais envisagé qu’il réduise son pouvoir ! Pendant un instant, je crus que je ne pourrais pas réussir à dissiper le malentendu, et qu'il allait exploser. Tout de même, avec des trésors de diplomatie, je parvins à désamorcer la grenade que j’avais malencontreusement dégoupillée. Mais cet épisode me fit comprendre exactement ce que vivaient ses subordonnés. Un mot de trop, un mot de travers, et leur boss devenait Hulk.
Ah ah
J’adore ce post : c’est tellement une chance de ressentir ce qui se passe dans le système. Un jour une cliente en tripartite ne comprenait pas ce que disait son manager quand il parlait de son insistence, tout ce qu’elle mettait en oeuvre pour faire passer ses idées, n’écoutant plus rien, coupant la parole agressivement en réunion par exemple. Ce faisant elle lui répliquait son incompréhension en répétant « donne des exemples ! », lui coupant la parole sans cesse. A un moment le manager me regarde comme s’il se noyait, bourreau-victime… mon sauveur a ouvert très calmement la bouche pour dire : « un exemple ? … », chacun me regarde aussitôt … « ce qui se passe ici et maintenant ».
J’en souris encore aujourd’hui.
On a envie de connaître la suite... Y avait-il une voie possible pour améliorer ce management ?