J'avoue, c'est une question qui me renvoie à une histoire personnelle et familiale. Qui fait que j'ai toujours tiqué devant cette expression, faire des efforts, quand on me demandait d’en faire.
Je me souviens m'être identifié à Gaston Lagaffe, qui est pris d'énormes éternuements, consulte un médecin, et celui-ci s'aperçoit que son patient est allergique au mot "effort". Alors le médecin le répète, encore et encore, "effort ! effort !" et Lagaffe éternue monstrueusement, à la grande joie du médecin.
Un graphologue qui m'avait fait mon analyse, avait décelé dans mon écriture "une note de forcing", je me souviens que l'expression m'avait frappé. Le forcing, ou la tendance à faire un peu trop d'efforts.
Mais que signifie faire des efforts, au juste ? Se forcer à faire quelque chose. Donc en faire plus que ce qu'on fait naturellement. En remettre une couche. Cela semble dire qu'on n'en a "pas fait assez" jusque-là. Il se peut qu’on peine à trouver l'énergie pour accomplir une tâche qui nous tombe des mains d'ennui ou d'inutilité ? Mais alors faut-il la faire ? Faut-il faire des efforts pour l’accomplir ? Est-ce cela qui sera efficace ?
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Il arrive parfois (sans doute plus souvent qu'on voudrait) qu'on se trouve dans la nécessité de faire certaines choses qui ne nous passionnent pas, ou même nous déplaisent profondément -- mais qu'il faut faire. Parce qu'on s'y est engagé. Parce que les circonstances l'imposent. Et dans ces cas-là, il convient, disait Jankélévitch, d'être "sérieux". Responsable. Faire en somme ce qu'on a à faire, même si on préfèrerait faire autre chose. On fait son devoir, même si ça n’est pas très drôle, et voilà.
En dehors de ce genre de circonstances, si je tique quand une personne dit qu'elle "va faire des efforts", c'est que j'entends qu'elle force quelque chose, et qu'il y a peut-être un meilleur chemin à suivre, une voie plus juste pour elle, plus fluide. Ne serait-elle pas en train de faire "encore plus de la même chose qui ne marche pas" ? Bref, son énergie s'applique-t-elle au bon endroit ? Ou se laisse-t-elle forcer par autrui, ou par la pression d’un système dont elle est partie prenante ?
Pour ma part, il me semble que le travail (quand les efforts s'appliquent à ce domaine) devrait être autant que possible un lieu de réalisation personnelle, de participation et de plaisir. C’est ma boussole. Nous devrions toujours, quelle que soit notre situation, tendre vers ça : c’est-à-dire faire nos choix et agir de manière à se rapprocher autant que possible de cet idéal. C’est un chemin. Et dès lors que nous serions dans cette direction de notre volonté et de notre désir, dans ce qui a du sens pour nous, est-il encore question de "faire des efforts" ? Dès lors qu’on met son énergie à la tâche qu’on a décidé, en liberté, qu’y aurait-il à forcer ? Ce qui n'empêche certainement pas l'engagement, la détermination, l'opiniâtreté.
Mais peut-être peut-on s'efforcer joyeusement ? En tout cas, c'est ce que je vous souhaite.
Bonjour Marc et merci pour cette réflexion.
Si je me souviens bien des cours de physique, le travail pour aller d'un point A à une altitude a vers un point B à une altitude b (b>a) est le même, qu'on aille en ligne droite en suivant la pente la plus abrupte, ou en suivant un chemin qui prendrait des diagonales de moindre pente.
Donc, à effort différent, même résultat, mais pas la même difficulté /souffrance. Si on est pas pris par le temps, je ne peux qu'adhérer à ta perspective de grimper la pente joyeusement ainsi, en appliquant cela au monde du travail, mais pas que.
Et pourquoi ne pas y ajouter les variations autour du "sens". Le sens de la pente-la direction empruntée, le sens du travail - sa signification (notre motivation par exemple), et enfin les "sens" employés pour ce faire.
Et comme ce blog est lu après une ballade matinale avec ascension (le chien comme facteur de motivation extrinsèque), j'ai commencé par la pratique "en faisant de la prose sans le savoir" :-). Bonne journée à tous.