"Développement personnel", vraiment ?
Cette expression toute faite dit notre désir légitime de nous améliorer, de continuer de grandir. Mais on gagnerait à interroger tout ce qu'elle cache aussi
Je songeais hier à l'expression "développement personnel", par laquelle on a pris l’habitude de désigner l’aspiration (bien naturelle) à s’améliorer. Je me disais qu'au fond, c'est un étrange vocable, parce que peut-être, en fin de compte, il n'y a pas que du “développement”, et que celui-ci est moins “personnel” qu’on voudrait le croire.
Développement est un mot valise, surutilisé dans le monde d’aujourd’hui, pour décrire toute évolution positive et souhaitable. Mais est-ce qu’il ne contient pas, aussi, une sorte d’injonction à la croissance à tout prix, un mot d’ordre dont on connaît les dérives ? N’est-ce pas une manière déséquilibrée de voir les choses, une incitation discrète à une perpétuelle “fuite en avant”, vers plus, toujours plus, toujours plus grand, plus loin, plus vite. Cette accélération incessante.
Est-ce qu’à toujours vouloir se développer, on ne risque pas une permanente et douloureuse insatisfaction ? Il me semble que la sagesse qu'on gagne, à se connaître et à connaître le monde, se trouve en même proportion dans ce que l'on trouve à réduire, à ralentir, à dépasser : en somme tout ce qu’on décide de ne pas développer. Cela inclut certaines illusions, ou certains rêves qui ne sont que des songes creux, et dont on trouve profit à se débarrasser, pour s’installer au plus vif, au plus joyeux de l’existence telle qu'elle se présente à nous.
En somme, il me semble que la vraie question, c’est de continuer d’être curieux, d’apprendre (sur soi aussi), pour évoluer. Sans doute nous augmentons certaines capacités, mais d'autres se mettent aussi en sommeil, qui sont moins sollicitées ou deviennent moins nécessaires. À tous les âges, nous apprenons, et nous désapprenons aussi. La vie n'est pas un compte de résultat qui nous ferait mesurer seulement nos bénéfices. Il y a de nouvelles expériences, des découvertes, des rencontres, et tout autant ce qui s’efface, car on évolue aussi, faut-il le rappeler, par l’oubli, l’acceptation de la perte, la disparition de ce qui n’a plus cours et que nous laissons derrière nous. Le mot développement est-il le mieux choisi, qui ne met l’accent que sur ce qui augmente ?
En somme, plutôt que chercher toujours à mettre un vecteur d’accélération en regard de notre existence, on pourrait s’occuper de cultiver, au jour le jour, un équilibre, c’est-à-dire une adéquation entre notre énergie et nos ambitions, entre notre désir d'agir et notre pouvoir de faire.
Quant à la dimension “personnelle” de notre évolution, certes nous vivons dans une société qui valorise l’hyper individualisme, la figure du super-héros ou de la super-héroïne qui ne dépend que de lui-même, ou d’elle-même. Mais il se pourrait que l’affaire soit moins “personnelle” qu’on aime à le croire, au sens où nous sommes dépendants de beaucoup d’êtres et de choses ! Nous sommes des créatures reliées, donc fondamentalement interdépendantes. Je dépends de la banquise arctique pour ne pas suffoquer en été. Je dépends de ces abeilles qui ont trimé pour faire le miel dont je tartine sans y penser ma baguette au petit déjeuner. Je dépends des champignons obscurs qui nourrissent les racines de l'arbre dont la vue me réjouit. Je dépends de ces femmes, ces hommes et parfois ces enfants, que je ne verrai jamais, auxquels je ne veux surtout pas songer, en achetant d'un clic un vêtement dont je n'ai tout compte fait guère besoin mais qui me fera sentir beau. En somme, il n’y a pas d’individualité refermée sur elle-même, j’ai besoin de tous ces autres pour exister. Je ne suis pas séparé de tout cela, je ne suis rien sans cet entrelacs invisible, quelle que soit l’histoire que je me raconte.
Il y a, nichée dans l'expression “développement personnel” une fiction égotique tellement partagée qu’il est difficile de s’en défaire. Elle me fait penser à l’histoire du baron de Münchausen, qui prétendait se hisser dans le ciel par la seule grâce d'une canne à pêche attachée à ses basques. Cela ne marche que dans les rêves, dont, finalement, on se réveille. Il n'y a pas de “développement personnel”, il n'y a qu'une “évolution reliée”. Nous choisissons un chemin, une direction, et cela nous appartient. Mais nous le faisons avec ce qui vient. Avec ce que nous sommes à cet instant, et aussi avec tous ces autres, proches et lointains, sans lesquels nous ne sommes pas grand chose. Avec un héritage, conscient et inconscient. Et avec le réel, le monde tel qu’il va, ce qui rajoute un paquet de paramètres à notre équation. De quoi inciter à l’humilité, et à prendre en compte, dans nos choix de “développement personnel”, la réjouissante complexité du vivant dont nous sommes.
Merci Marc, pour ce post qui n est pas, lui, au contraire de ce fameux baron, capilotracté! Je mets à reposer pour y repenser.