On fait souvent de l’éloge de la lenteur, on vante la force de la douceur, l’importance du centrage. C’est très bien. Mais le premier mouvement que nous avons à faire, bien souvent, c’est de contrer le sentiment tyrannique, impérieux, qui nous enjoint à agir, réagir, dans l’urgence. Vite, vite, vite, faire quelque chose.
Et quand autour de nous tout semble empêtré ou à l’arrêt, ce besoin d’agir se fait encore plus pressant. En temps de confinement, de couvre-feu, d’interdiction de ceci et de cela, de règles sanitaires et comportementales qui compliquent et ralentissent l’activité, l’impatience s’agite, et parfois s’affole. On se retrouve à dépenser de l’énergie en pure perte, à travailler inutilement, pour tenter de remplir un vide angoissant. On rencontre cela dans les organisations sous le chapitre : pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué. Certains managers exigent de leurs équipes des tâches qu'ils savent inutiles, parce qu'ils craignent par dessus tout la sous-activité, et d'avoir le sentiment de ne servir à rien. Au moins, quand on se complique la vie, ça donne l’illusion d’être occupé, utile, ça donne l’illusion d’avancer. (Par parenthèse : je crois que c’est un travers de l’espèce humaine, si l’on regarde l’activité frénétique - et terriblement néfaste, en fin de compte - à l’échelle de la planète, pour produire, extraire, exploiter, commercer, sans règle ni mesure, et souvent pour des motifs futiles.)
Un aiguillon pour agir
L’impatience est l’aiguillon qui nous tire vers l’avenir et le faire. Elle est certainement un moteur pour beaucoup de personnalités, celles et ceux qui ont comme driver "dépêche-toi!". Dépêche-toi, la vie est courte. Dépêche-toi, l’occasion va passer. Dépêche-toi, les autres n’attendent pas, ils vont prendre les meilleures places. Je connais, ça a longtemps été mon mode de fonctionnement.
L’impatience est un désir d’agir sur le monde, de le modeler, de laisser notre trace. Elle est aussi, en creux, une peur. Peur de subir, d’être cantonné à la passivité. Nous voulons être actifs, à tout prix, et même si cette activité en réalité n’apporte rien de bien concret.
Pour beaucoup, cette année 2020 aura été l’année du coup de frein. Stop et encore. L’année d’une incertitude poussée à son paroxysme. Dans cette circonstance, l’impatience est un sentiment qui se répand. Impatience de reprendre les choses comme avant, impatience que l’épidémie se termine, impatience de relancer les projets laissés en jachère, impatience de mettre bas les masques pour retrouver en face de nous des visages et des sourires, des corps qui ne soient pas des menaces.
Savoir attendre
L’impatience est mère de la désunion dans l’action, et de l'inefficacité. On le sait au moins depuis la fable d'Ovide, et de La Fontaine, dont le lièvre oscille entre rapidité, ennui et suffisance. L’impatience alterne avec la frustration, quand la vitesse n’est plus possible, et qu’il faut bon gré mal gré, s’adapter, se contraindre, freiner nos initiatives, reporter des objectifs. Il faut réfréner sa spontanéité, contenir ses élans. Cette tension est épuisante, et au bout d'un moment la fatigue peut se transformer en déprime.
On peut faire l’éloge de la pondération et de la pensée stratégique (comme je le fais ici en creux) mais d’abord, il faudra faire avec cette compagne exigeante, qui nous tire par le bras et nous commande d’agir, quand parfois il faudrait faire le gros dos, préparer - lentement - une reprise. En se pressant lentement, comme la tortue. Parce que justement, peut-être, nous avons un peu plus de temps.
Face aux tiraillements de l’impatience, nous avons à retrouver une capacité d’attendre, ouverte, sans intention. Comme disait François Roustang, il faut savoir attendre pour que la vie change.