Vous n'êtes pas ce que vous pensez
La méditation a cette vertu de réouvrir une salubre distance par rapport à nos pensées, nos émotions, tout ce qui agite notre "mental". Un extrait de mon prochain livre.
Je profite de quelques jours de congé pour avancer sur l’écriture de mon prochain livre ou j’aborde la question du changement. Comment vivre ces temps de grand changement, comment vivre, aussi, nos changements intimes, nos changements intérieurs ? Bref, un vaste et passionnant sujet, qui nous concerne tous.
En avant-goût, je vous livre ci-dessous un court extrait où je décris, à partir de ce que nous apprend l’expérience de la méditation, la distance que l’on peut prendre avec ses propres pensées, ce qu’on appelle parfois “le mental”, pour conserver (ou retrouver) une flexibilité, dans nos décisions, et nos actions…
N’hésitez pas à me faire part de vos retours, en commentaire ou en direct. Ils me sont toujours précieux. Bonne lecture !
Le mental n’est pas « mauvais », bien sûr. Le mental est utile, ingénieux — magnifiquement ingénieux —, mais il n’est pas tout. Dans son activité qui représente une part essentielle de notre expérience du monde, de notre flux de conscience, tout ce qui nous passe par la tête, à tout instant, il y a, comme on dit, à boire et à manger.
Le mental ne cesse de s’agiter, « parler » dans notre tête, se souvenir, redouter, élaborer des scénarios, élucubrer. Il produit des images, des hypothèses et des scénario, nous tire et nous pousse dans le passé, dans l’avenir. On appelle toute cette agitation réfléchir, pour le dire vite, mais la plupart du temps il s’agit juste de ressassement, de rumination. Le mental est tellement bruyant à nos oreilles intérieures qu’on finit par croire qu’il n’y a que lui dans la pièce. Dans un dîner, parfois, aussi, il y a une personne qui parle fort et beaucoup, qui raconte des choses intéressantes ou curieuses, et si l’on n’y prend garde, on n’entendra qu’elle, on ne remarquera pas les autres qui sont autour de la table, qui ne sentent pas le besoin de se mettre en avant et de se faire remarquer, et dont le point de vue serait tout aussi intéressant, et peut-être beaucoup plus mystérieux et profond que les bruyantes remarques de l’envahissant convive, si content de lui qu’il soit.
Le mental ne peut pas être débranché, en revanche il peut être utile de l’apaiser, ou de le remettre à sa place, de lui rappeler qu’il n’est pas seul, que ses automatismes débridés, ses conditionnements, ne sont pas la seule vérité des choses. Notre machine à penser peut être occupée par une tâche qui la repose, ainsi que l’apprennent les méditants : regarder la respiration, cycle après cycle, observer le corps et les sensations qui le traversent, instant après instant. On apprend à faire de l’activité mentale elle-même l’objet de notre attention. Dans cette position méta, on aperçoit alors ce que les bouddhistes nomment les « agrégats mentaux », des concrétions de pensées et de croyances qui occupent notre esprit. On en prend conscience, ce qui est un grand progrès. Toute prise de conscience est aussi prise de distance. Elle ouvre un espace à une action qui ne soit pas seulement une ré-action, un automatisme. Agir, et pas seulement réagir. L’attitude d’observation dans la méditation permet de voir cette ébullition permanente, généralement inconsciente, ou subconsciente. On perçoit le caractère changeant, illusoire, l’inconsistance de nos pensées. Il ne s’agit que d’une couche logicielle assez superficielle, si l’on y regarde bien. Mais l’activité du mental est si envahissante, qu’elle occupe l’avant-plan de la conscience, au point qu’on la confonde avec soi. On s’identifie, on fusionne avec ces pensées, ces réactions automatiques, apprises, ces « réflexes ». Or il arrive que le mental nous entraîne où nous n’avons pas envie d’aller, que nos propres conditionnements participent à construire le genre de vie que nous n’avons pas envie de mener. Il faut le voir, cela — sans jugement. Le constat. La méditation est une fenêtre de lucidité. Une lumière dirigée sur les angles morts de l’esprit, toute une activité automatique, une permanente et parfois envahissante ébullition.
Je suis ce que je pense est la croyance implicite qui nous gouverne. C’est toujours une libération de mesurer combien cette illusion peut être trompeuse. Alors, de temps à autre, atterrir un peu. Reprendre pied dans le présent, débrancher une minute le mental, et se rappeler cela : Nous ne sommes pas nos pensées.