Le syndrome du (trop) bon élève
Un livre pour reconnaître le piège de la suradaptation professionnelle, et en sortir par le haut
En lisant le nouvel ouvrage de Karine Aubry (Trop bon élève au travail ? Savoir échapper aux pièges de la suradaptation professionnelle, Interéditions), je songeais à tous ces coaché-e-s que j’ai eu l’occasion d’accompagner et qui souffraient à un degré ou un autre de ce « syndrome du bon élève ». Des personnes souvent consciencieuses et efficaces, qui imaginent que si elles font comme il faut, si elles s’adaptent quoiqu’il arrive, si elles font ce qu’on leur dit de faire, tout naturellement elles seront reconnues, promues, récompensées. Après tout, n’est-ce pas ce qu’on nous a répété à l’école ? Le mérite, le mérite, le mérite… Quelle douloureuse surprise alors de constater que d’autres, souvent, récoltent primes et avancement. D’autres, qui savent demander, insister, se faire mousser.
Quant aux bons élèves… on est très content qu’ils restent à leur place, où ils se débrouillent si bien, et sans faire de vagues ! Ils s’adaptent, mais parfois au-delà du raisonnable !
L’injonction à s’adapter est très présente dans les organisations, de manière explicite ou implicite : changements constants (pardon, “évolution” et “progrès”) dans l’organisation, les normes, les procédures, les outils ; valorisation de l’agilité, de la mobilité. Logique : dans l’inconscient collectif, s’adapter, c’est vital. (…) En nous adaptant, nous avons l’impression de progresser, d’évoluer dans le bon sens ? Mais jusqu’où est-il pertinent de s’adapter ? A quel moment le cadre ou le manager bascule-t-il dans une suradaptation qui lui coûte… et coûte parfois à l’entreprise ?
Karine Aubry déplie, avec précision et pédagogie, toutes les formes de la suradaptation :
se débrouiller seul quoiqu’il arrive
se plier exagérément aux exigences de son chef
supporter l’absurdité d’un bullshit job quand on pourrait aller voir ailleurs
respecter le « cadre » même quand il est inepte
vouloir toujours compenser les défauts des autres (y compris le week-end)
supporter la pression au-delà du raisonnable
se mettre en quatre pour répondre aux injonctions paradoxales.
L’auteure démonte la mécanique sournoise par laquelle les bons élèves ont tendance à tomber du côté où ils penchent. Surtout, elle fournit les moyens d’analyser ces situations, en empruntant largement à la pensée systémique. Elle propose de nombreuses techniques pour changer d’attitude et s’en sortir. Mise en garde salutaire !
Car les conséquences de l’excès de « vouloir bien faire » peuvent être lourdes : déception et sentiment d’injustice, bien sûr, mais aussi l’épuisement qui peut conduire tout droit au burn-out. Sans parler d’une carrière qui n’évolue pas, ou pas dans le bon sens.
Il y a quantité de manières de perdre de vue ses propres besoins pour se laisser happer par ce piège de la suradaptation professionnelle, que le livre décrit concrètement, avec de nombreux exemples qui sentent le vécu, et parleront à tous ceux qui connaissent le monde de l’entreprise. Par exemple, ce rappel que nos motivations profondes peuvent devenir un piège.
On veut faire plaisir ? On veut que tout soit bien fait (perfectionniste) ? On est souple ? On prend sur soi ? On prend tout en charge, comme le bon petit soldat ? On veut éviter le conflit et que tout le monde se sente bien dans l’organisation, collègues et manager ?
Il est facile alors de dépasser ses propres limites, sans parler du risque de se faire instrumentaliser. C’est un cercle vicieux, dont, heureusement, qu’il est possible de sortir — du moins, à partir du moment où l’on en a pris conscience, et que l’on est déterminé à changer !
Une fois le diagnostic posé, il faut alors muscler son jeu. S’affranchir d’une posture trop scolaire ou obéissante et ne plus hésiter à utiliser son « permis de désobéir » pour s’affirmer dans les jeux de pouvoir que l’on rencontre dans toutes les organisations. Le livre donne des clés pour reconnaître ses propres besoins, s’orienter selon sa boussole émotionnelle et prendre le risque du changement. Parce que, croyez-moi, si vous ne prenez pas les choses en main, personne ne le fera à votre place !