Se libérer par l'hypnose
L'hypnose nous apprend à modifier notre registre d'attention pour faire face à l'anxiété et aux peurs qui nous rétrécissent - une interview dans Libé
Je lis Libération depuis bientôt trente ans, parce que j’ai toujours trouvé dans ce journal, malgré ses hauts et ses bas (qui n’en a pas ?), une écriture inventive et curieuse, un ton qui n’appartient qu’à lui dans la presse française, mais aussi sans doute pour ce titre magnifique. Libération !
J’ai été d’autant plus heureux d’y être interviewé cet été. Mais, après tout, la thérapie, le coaching, ne visent-ils pas toujours une forme de libération de nos énergies, quand elles sont empêtrées, bloquées, inhibées ? En tout cas, c’est certainement le programme de l’hypnose, telle que je la conçois : un rêve du corps qui viendrait bouger un réel trop répétitif, ouvrir de nouveaux chemins. Libérer, n’est-ce pas toujours, d’une certaine manière, faire oeuvre d’invention ?
Voici cette interview, dont je remercie Cécile Daumas, et sa retranscription ci-desous. Bonne lecture, et bonnes vacances, si vous avez cette chance.
L’hypnose est une pratique entourée de mystère. Elle fait même un peu peur. Une personne sous hypnose perd-elle conscience ?
Non, contrairement à une idée reçue, l’hypnose ne rend pas inconscient. Elle n’endort pas. Elle naît d’une certaine confusion, d’une désorientation. Pour l’atteindre, on « déconnecte » le cerveau, en l’occupant par une tâche un peu vide. Tout le monde a fait l'expérience, lors d’une soirée ou dans un café, d’avoir le regard qui s'arrête quelques instants dans le vide. C’est une forme fugace d’hypnose. Il y a plusieurs manières de parvenir à l’hypnose, fixer un objet est une technique possible. Regarder un pendule devient vite pénible, à un moment, l’esprit s’évade. Il décroche de l’environnement, des autres, de tout. C’est cet état que le thérapeute aide le patient à approfondir, parce que c’est un état qui rend possibles certains changements profonds. L’hypnose est un état dûment répertorié par la science, mais qui est parfois difficile à objectiver.
Que permet cet état spécifique ?
Ce mélange de confusion et de rêve nous plonge dans ce que François Roustang appelle la « disposition », c’est-à-dire un alliage de distraction et d’attention, qui permet de revivre une situation passée, de se projeter dans un rêve éveillé. Il devient ainsi possible de revisiter un souvenir traumatique pour apprendre à se distancier des émotions qui s’y attachent, de donner un sens différent à certains événements, de trouver des solutions inattendues à ce qui nous pose problème dans notre existence. Je travaille beaucoup avec des images ou des mots pris dans l'univers du patient. L’hypnose est souvent utilisée pour permettre une détente profonde, elle est aussi un apprentissage : pour que la personne puisse apprendre à se détendre quand elle en a besoin. On met de côté sa vigilance habituelle pour la bonne cause. Pour se faire du bien.
Le travail se fait plus sur le geste que par la parole comme dans une séance de psychanalyse ?
Cela dépend. Je ne rejette pas l'analyse, mais on va partir plutôt du ressenti, des perceptions. Les mots ne sont pas forcément nécessaires. Souvent, c’est le thérapeute qui parle, et le patient qui vit son rêve, à partir de certaines évocations. Il est très important que le corps reprenne sa place. On voit aujourd'hui beaucoup de pathologies où les personnes sont comme coupées de leur corps, de leurs sensations, comme dans certains cas de burn out. Même le sommeil n’est plus un repos, parce que le travail nous poursuit au milieu de la nuit. L’hypnose est paradoxale. Elle est une déconnexion dont on se sert pour retrouver son unité profonde, pour que l’individu dans son entier, par le corps, reprenne sa place dans le présent. Pour beaucoup de gens, c'est un défi d'être là, de ne pas être dans ses idées mais dans son corps, ici maintenant. Le corps sait bien mieux que le cerveau ce qu’il faut pour rejoindre le courant de la vie. Parfois un geste permet de changer quelque chose dans notre existence.
Comment retrouve-t-on cette place corporellement ?
S’il y a symptôme, c'est que quelque chose bloque, autour de quoi toute la vie finit par s’organiser. On toutne en rond. Il s’agit donc de rétablir une circulation de cette énergie. Une de mes patients avait le sentiment de porter une lourde charge sur les épaules pour des raisons familiales et professionnelles. Métaphoriquement, elle en prenait beaucoup sur le dos. Sous hypnose, l’image lui est venue qu’elle était attachée par un licol comme un animal de trait. Elle a pu faire le geste de l’ôter. Après la séance, elle était stupéfaite de sentir pendant plusieurs jours des courbatures à cet endroit-là. Elle s’est projetée dans une autre image, de liberté et de légèreté, un cheval sur une plage qui galope dans les vagues. L’hypnose génère des rêves d’une texture toute particulière, des impressions mémorables. Nous cherchons à emmener le patient à l'endroit de sa difficulté, pour qu’il puisse la digérer, la modifier, l’incorporer autrement.
L’hypnose peut aussi être une forme d’oubli ?
En hypnothérapie, il n’est pas nécessaire que le patient se remémore tout le contenu de la séance. On favorise le fait qu’ensuite il passe à autre chose, que le travail puisse continuer de manière inconsciente, sous la surface, sans trop verbaliser, sans trop analyser. Comme le rêve, l’hypnose est à son affaire avec l’oubli. C’est sans doute pour cela qu’elle permet aussi de rappeler à nous des capacités, des ressources que l’on croyait avoir oubliées, des énergies qui viennent de loin, de l’enfance souvent. Les enfants connaissent bien l’hypnose, ils sont complètement présents à ce qu’ils font, ils sont directement en prise avec l’imaginaire. Pour moi, l’hypnose est un accès privilégié à l’imaginaire,qui est notre plus grande force, qui est à la source de notre plascicité. Pour faire avec notre situation telle qu’elle est, toutes les contraintes de notre vie, pour inventer une position heureuse, il faut faire appel à l’imaginaire.
Téléphone, cigarette, alcool, drogue, jeux : les addictions de notre époque sont nombreuses, comment les travaillez-vous particulièrement ?
La thérapie doit être stratégique. C’est varié. Le travail peut consister à déconstruire les gestes automatiques que nous faisons sans plus y penser, comme attraper une cigarette ou son téléphone. Une espèce de complexe actif se met en place autour d'un comportement répétitif qui donne un certain plaisir. Il s’agit de rendre conscient ces gestes, pour pouvoir travailler sur cette impulsivité qui se déclenche. Tout ce qui est opaque et non vu dans notre système conscient devient conscient. À ce moment-là, on peut prendre une distance par rapport à l'addiction. On peut aussi associer des idées négatives au comportement problématique, par certaines suggestions, ou ancrer chez un fumeur le désir de connaître les sensations de plaisir associées à l’inspiration d’un air pur, léger, agréablement parfumé, etc. Toujours un travail à partir des perceptions.
Est-ce une thérapie qui fait du bien ?
C'est le but ! Mais comme toute thérapie, il faut que la personne s’engage dans son propre changement. C’est ce qui arrive le plus souvent, après tout, elle a fait la démarche. Mais ce n'est pas magique. Et il faut qu’elle ose ce changement, qu’elle en ait le courage. Il ne faut pas croire que le thérapeute a une baguette magique. Ce n'est pas lui qui impose le changement, il est là pour accompagner, pour guider, accueillir ce qui émerge, proposer un cheminement. C’est une position de respect, de non jugement. La meilleure solution est toujours celle qui vient du patient. Il suffit d’attendre, disait Roustang… Au thérapeute d’attraper, de cueillir cette solution quand elle se présente. On travaille avec cela.
Vous n'êtes pas là pour donner des recommandations …
L’hypnose en soi n’est ni bonne ni mauvaise, elle n'a pas de dimension morale. Elle est une aventure du corps et de l’esprit par laquelle il y a un accès possible à des ressources profondes, inconscientes. Le travail thérapeutique se fait à partir d’une relation de confiance qui s’établit, et à partir de ce qui est propre à la personne, et que parfois elle ne sait pas elle-même. C’est le principe de toute thérapie, la guérison ne survient que lorsque le patient lui-même est co-thérapeute. L’hypnose est associé à la manipulation, parce qu’elle suppose une forme d’influence, mais c’est une influence qui nous est demandée ! On n’y est pas dans le temps long du travail psychanalytique, et d’une position très en retrait du thérapeute, ou de sa prétendue neutralité. En général l’hypnose est utilisée dans un cadre de thérapie brêve. Comme on le sait, la vie est courte, donc la thérapie doit être brève.