Réveiller l'énergie
Le souffle et l’attention : deux clés de discipline pour réaliser l’équilibre intérieur
Considérez votre corps un instant, tandis que vous lisez ces lignes. Où diriez-vous que se place votre énergie, en cet instant ? Comment se distribue-t-elle en vous ? Est-elle plutôt dans vos pensées ? Pouvez-vous la localiser dans une partie de votre corps en particulier ? Diriez-vous qu’elle est plutôt concentrée, dense, centrée — ou au contraire éparpillée, dispersée, désorganisée ? À moins que vous sentiez votre énergie projetée vers l'extérieur, dans des actions et des interactions, hors du soi.
Placer son énergie, la nourrir, la canaliser, l’employer utilement, l’économiser… Voilà une affaire essentielle, dans toute recherche d’une forme de maîtrise.
Vous me direz, à juste titre, que cette "énergie" n'est pas une chose que l'on attrape aisément. Parlant d’énergie, on parle de la dimension vitale. Elle est par définition impalpable. L’énergie dont on parle ici n'est pas une chose que l’on pourrait vérifier, ou mesurer avec un instrument (ce qui serait l'objet de la science). Elle est, seulement, le mot par lequel on peut essayer de cerner une certaine dimension sensible de notre rapport au monde.
Cette dimension, nous pouvons l’approcher en faisant un détour par la cosmologie orientale, et extrême-orientale.
Le qi chinois (prononcer tchi) représente cette énergie interne, dont l’accumulation, le flux, la bonne circulation, sont au coeur de la médecine chinoise, comme de la pratique des arts martiaux.
La notion de qi, essentielle dans le taoïsme, est une manière élégante de représenter l’énergie circulante, en nous et dans le monde, et cela dans le but, très concret, d’en découvrir les secrets, d’en acquérir une connaissance sur laquelle s’appuyer pour augmenter notre efficacité, notre force physique et notre équilibre intérieur.
Car la compréhension "intellectuelle" de cette dimension énergie serait de peu de valeur, si l’on ne cherchait pas à obtenir certains effets par la pratique : gagner en alignement, préciser notre geste, ajuster nos actions, ancrer en soi la force de soigner ou guérir — bref trouver une position, une posture de plus grande efficacité, quoique nous visions dans le monde.
Ainsi, pour donner un exemple, dès que vous considérez le symptôme comme un blocage, une crispation ou une stagnation de l’énergie, il devient utile, dans une pratique de soin, de chercher à rétablir la circulation de cette énergie.
Faire revenir l’énergie bloquée dans le flux global, la réintégrer dans le mouvement général : voilà, disait le grand hypnothérapeute François Roustang, ce qu’est la guérison*.
Autre exemple : par certains exercices, apprendre à faire (re)descendre une énergie qui tournerait seulement là-haut, dans le cerveau, dans une excitation inutile, bavarde et peu efficace. À ce sujet, un précepte taoïste rappelle le principe à suivre inlassablement pour rétablir l’ancrage souhaitable dans le tantien :
Vider la tête, remplir le ventre.
On sait que de nombreuses pratiques utilisent le chemin du souffle* pour rétablir et maintenir cette harmonie des énergies internes, et accumuler le qi.
En s’appuyant sur la respiration consciente, on parvient aisément à obtenir des effets sur l’équilibre intérieur (détente, concentration, apaisement des émotions et perturbations). Il suffit de s’exercer à diriger et canaliser notre souffle (voir le pranayama du yoga). La respiration peut aussi être cet objet privilégié sur lequel concentrer son attention pour faire retour à l’instant présent (dans la méditation de pleine conscience, le vipassana, etc).
Cependant, quelles que soient les pratiques que l’on puisse choisir pour nourrir son énergie, il faut rappeler qu’à la base de toute discipline, il y a la question de notre attitude mentale : c’est-à-dire la manière dont nous dirigeons notre attention, et plaçons notre intention. (L’hypnose elle-même, pourrait être définie comme une “pratique de l’attention”.)
C’est toujours par là que quelque chose commence. Par l’exercice de la volonté, un engagement conscient, et répété. C’est alors qu’intervient le yi. Partenaire souvent oublié du qi, il désigne la décision que nous prenons de placer notre énergie à l’endroit de la plus grande justesse, en fonction de ce que nous cherchons à réaliser. Il représente en somme la concentration sur la pratique, sur notre geste, quel qu’il soit. Rien là de mystérieux. Mais il fallait bien ce rappel que si nous nous éparpillons, ou ne parvenons pas à consacrer notre temps à ce qui a de la valeur à nos yeux, il n'appartient qu'à nous de changer cela, de faire preuve de discipline et de ténacité, de remettre une fois de plus l’ouvrage sur le métier, tranquillement, pour avancer dans la direction voulue. Et ainsi nourrir et faire circuler le qi !
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* cf François Roustang, L'Apprentissage de la liberté Dits et écrits (1964-2016), éditions Odile Jacob, 2022.
** cf Gu Meisheng, Le chemin du souffle, pensée chinoise et Taiji quan, Les éditions du Relié, 2022.
Merci pour ce beau post sinisant. Le temps de laisser la vapeur du riz qui cuit s échapper.. et je partagerai mes idées ;-)