Quelques lectures pour s'inspirer
Quoi de mieux qu'un bon livre pour rêver en cette fin de l'année et préparer celle qui vient ?
Puisque l’année se termine, on peut un instant se retourner et considérer ce qui nous a fait vibrer. Pour moi, ce sont quelques lectures, dans des registres variés, qui pourront peut-être vous donner des idées. En vrac.
Récidive. 1938 de Michaël Foessel (PUF) raconte l’année qui précède le déclenchement de la seconde guerre mondiale, à partir des journaux de l’époque. Il offre ainsi une photographie vivante de l’opinion publique, à travers l’actualité au jour le jour. Quand la France est aujourd’hui confrontée à ce qu’il faut bien appeler le retour d’un refoulé fasciste, Foessel nous immerge dans la faiblesse morale de la France de 1938, qui observe les diatribes du bruyant monsieur Hitler avec, selon le bord politique, un mélange de crainte, d’admiration fascinée, de répulsion. La France de 38 est un pays divisé, travaillé par le déni de la menace qui monte. Un pays où l’on ne s’écoute pas, et où l’on ne s’entend plus.
Pour rester dans l’histoire, Libres d’obéir, le management, du nazisme à aujourd’hui, de Johann Chapoutot (Gallimard). Quelle claque, ce livre étonnant qui décortique l’organisation « managériale » de l’état nazi. Entre délire de pureté raciale et pragmatisme de l’action, les coulisses d’une machine institutionnelle basée sur la compétition interne entre différentes agences, un darwinisme basé sur une forme d’« intrapreneuriat » de la destruction. L’auteur, historien à la Sorbonne, trace le portrait d’un administrateur éminent de cette machine de mort, un homme qui non seulement survivra à l’après-guerre mais ressurgira dans les années soixante et soixante-dix et deviendra le « pape du management » pour tout le patronat allemand. Instructif et magnifiquement écrit.
A propos de management, 2021 aura été l’année de la disparition de David Graeber, le penseur punk. L’inventeur du « bullshit » comme concept reste incontournable à l’heure où chacun en vient à questionner le sens de son activité. Il faut lire Bullshit jobs (traduit en français comme « job à la con ») pour mesurer à quel point la logique néolibérale poussée à bout fabrique de l’ineptie. Graeber ne s’arrête pas à la surface des choses, et sa réflexion s’appuie toujours sur l’exemple. Derrière le bullshit, il y a nos échelles de valeur : les « premiers de corvée » ne seraient-ils pas beaucoup plus utiles à l’intérêt général que certains « premiers de cordée », surpayés pour ne produire que du vent… Tranquillement cash, Graeber pose une démonstration lucide et souvent drôle - mais au fond, vertigineuse.
Dans un tout autre genre, beaucoup plus intime, L’art de la thérapie de Irvin Yalom. L’héritage d’un thérapeute et pédagogue hors du commun, humain et chaleureux, qui nous ouvre les portes de son cabinet. A travers les échanges avec ses patients, de nombreux aspects de l’accompagnement et des stratégies thérapeutiques. Je recommande ce livre à tous les coachs. Dans un registre proche, le livre de Marcel Ruffo, Autobiobiographie en thérapies, est un voyage sensible du psychiatre marseillais à la rencontre des patients qui l’ont marqué, et qui lui ont appris son métier. L’étrangeté du quotidien, les mystères de la folie et de la guérison, le médecin sur le fil de la relation…
Côté fiction, Illusions perdues de Balzac. Le film m’a donné envie de relire le livre. Balzac, ça déménage ! Une énergie puissante traverse ce roman, qui brosse au rythme de la cavalcade le portrait étourdissant d’une société de l’information et du journalisme corrompue jusqu’à l’os, mais aussi d’un monde de province cristallisé en castes rigides. Effet-miroir garanti sur notre modernité des fake news et des réseaux sociaux, les chaînes de désinformation et les Rastignac de pacotille.
Pierre, de Christian Bobin (Folio). Pierre, c’est Pierre Soulages, le grand prêtre - ou chaman - de l’outrenoir. Bobin, dans sa langue incandescente, puissamment évocatrice, adresse à son ami une lettre bouleversante, sur l’art, l’amitié, ce qui unit et dépasse les êtres. Un grand petit livre que j’ai lu, puis relu, dans le même mouvement, parce que je ne voulais tout simplement pas m’arracher à son atmosphère de poésie unique.
Pour finir en sagesse, car il en faut, et plus que tout : le manifeste pour une forêt primaire en Europe, de Francis Halle. Le grand botaniste appelle à recréer au coeur de l’Europe une forêt primaire. Ce projet nous renvoie à la petitesse de notre échelle de temps, et à une humilité dont l’homme ne semble plus capable. Une forêt primaire, l’écosystème terrestre le plus riche qui puisse exister, a besoin de mille ans de croissance sans que l’homme y intervienne. En creux, une méditation sur les enjeux de très long terme, ceux de notre civilisation, et le respect que nous devons aux arbres, nos grands aînés, à qui nous devons l’essentiel : la vie.
Une bonne fin d’année à toutes, à tous, et au plaisir de vous retrouver en 2022 !