Vous aurez remarqué comme moi combien il est fréquent aujourd’hui d’afficher que l’on déteste le conflit. Cette position de principe est en ligne avec une valorisation de la bienveillance, un mot hélas rincé par trop de lessives (les mots aussi se délavent et perdent leurs couleurs).
C’est certainement bien de positiver à tout prix, et peut-être que l’on pourra ainsi se rassurer à peu de frais. Mais je crois personnellement aux bénéfices de la lucidité. Je voulais rappeler aujourd’hui qu’on n’échappe pas à l’adversité, et qu’on ne peut pas toujours se prémunir par des moyens pacifiques contre l’antagonisme de ses semblables. Franchement, ce n’est pas un scoop. Et pourtant. Je vois souvent des personnes qui refusent de s’avouer à elles-mêmes qu’elles sont dans un conflit, et qui se mettent un bandeau sur les yeux sur les implications de cette situation, au prétexte qu’elles ne sont pas des personnes agressives. Je crois qu’il y a là une confusion.
Civilisation ou pas, la violence propre à l’espèce continue de circuler, ni plus ni moins sans doute qu’à d’autres époques, sous des formes différentes bien sûr, qui sont inscrites dans les structures sociales et politiques contemporaines. Aujourd’hui, par exemple, elle s’exprime plus habituellement par le harcèlement, le bashing sur les réseaux, la toxicité managériale que par le duel à l’épée ou le coup de masse. Mais enfin, la violence symbolique peut tuer, elle aussi.
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Qui aime se battre ? Celles et ceux qui font profession de combattre, dont le métier justement est de préparer toutes les éventualités de la guerre, comme les militaires ? Pas sûr. Dans la plupart des cas, ce sont les personnes les plus réticentes à s’engager dans un affrontement, justement parce qu’elles savent que l’issue d’un conflit n’est jamais certain, et que la violence en retour (la “violence légitime”) doit rester l’option de dernier recours.
Il est naturel pour la plupart d’entre nous de rechercher la paix, et la sécurité qu’elle engendre, et pour cela de se tenir à l’écart des tensions avec autrui (parce que cela génère de l’incertitude, de l’inconfort et de l’inquiétude). Pourtant, nous consommons avec beaucoup de plaisir la violence omniprésente dans les flux d’images, ce qui veut bien dire qu’on y trouve une certaine jouissance. Ce paradoxe mis à part, je voulais rappeler cette mauvaise nouvelle : le refus du combat ne prémunit en rien contre la violence d’autrui - et que ce refus, quand il frise l’aveuglement, est a contrario une voie ouverte pour celle-ci. La peur du conflit, quand elle inhibe nos capacités de réaction, conduit à ne pas réagir à l’inacceptable. Et quand les limites sont franchies…
L’histoire, ou même la situation géopolitique actuelle, fournit toutes les illustrations de ce à quoi conduit l’aveuglement et le manque de fermeté sur ses valeurs essentielles.
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Vous n’aimez pas la guerre, vous mettez un point d’honneur à éviter les conflits ? C’est pour vous une position de principe ? Voilà qui est honorable, mais ne vaut pas protection contre l’agression, et ne doit pas vous conduite à sacrifier vos intérêts, ou à servir ceux d’un agresseur, quel qu’il soit, dans l’espoir généralement illusoire de l’amadouer et de s’en faire un pote.
Regardons la réalité en face : vous pouvez ne vouloir d’ennemi à aucun prix, et cependant avoir pour ennemis ceux qui haïssent les gens comme vous. Ça ne dépend pas de vous. L'être le plus pacifique n'est pas à l'abri d’une guerre qu’on lui ferait. La guerre est possiblement à déclenchement unilatéral. Si quelqu’un vous déclare la guerre, et vous la fait, vous êtes dedans, vous êtes en guerre. Que ça vous plaise ou non. Et bien sûr, si l’on vous fait la guerre, à moins de vous laisser détruire, il vous faudra réagir d'une manière ou d'une autre. Céder ou faire profil bas, fuir ou contre-attaquer, etc. A moins que l’ennemi ne soit tout à fait dépourvu d’une arme en mesure de vous blesser, vous aurez à vous préoccuper de lui. Même si vous préféreriez, ce qui est bien compréhensible, vous consacrer à autre chose.
Pour en revenir à des choses courantes, dans les situations difficiles ou instables de la vie personnelle et professionnelle, je crois qu’il est toujours important d’affûter son intelligence des rapports de forces. Une analyse froide de ses atouts et faiblesses permet de ne pas se laisser aveugler par les émotions, et d’aborder les choses avec une certaine objectivité, en tout cas sans naïveté (ni illusion sur sa capacité ou sa supposée incapacité à infléchir le cours de choses).
On connaît le vieil adage, si vis pacem para bellum, si tu veux la paix, prépare la guerre. Avoir une vision claire et sans irénisme, et fourbir ses armes, c’est se donner toutes les chances de ne pas avoir à s’en servir.
Bonjour, la question serait donc de se « pré occuper » de choses avec lesquelles on ne souhaite pas ou on n imagine pas que l on va devoir affronter... O combien pertinent, et douloureux quand à la lucidité que cela demande de déployer et d accepter. Quand cela n est pas inné, cela revient à s attaquer à son angélisme, sa naïveté en ce qui concerne un autrui malveillant qui se cacherait quelque part. Même les paranos ont des ennemis, il est vrai. Je mets à tremper et vais coupler ton billet avec une relecture des stratagèmes de Sun tzu. Merci Marc!