Mettre à distance les émotions
Les émotions sont puissantes et parfois trompeuses. Comment les réguler quand elles nous envahissent ? Par l'ancrage dans le corps
Je songe à une chose un peu ridicule qui m’est arrivé, il y a quelques années. J’étais chez moi, avec mes enfants. Je me souviens que c’était une belle matinée, la lumière se déversait par les fenêtres de l’appartement (les émotions violentes ont le pouvoir d’ancrer certains moments dans notre mémoire). À la lecture d’un mail, mon sang ne fit qu’un tour : je crus avoir fait une bourde majeure auprès d’un client, membre éminent d’une institution puissante. C’était le début de ma pratique de coach, je marchais sur des œufs. Persuadé d’avoir commis une erreur impardonnable, une faute, je m’imaginai en un instant cloué au pilori, pointé du doigt pour mon inconséquence, obligé de me justifier. En somme : déchoir. Adieu veaux, vaches, coaching ! Je me mis à sauter sur place tel le Marsupilami, en jurant. C’était irrépressible. Je revois le visage interloqué de mes enfants, se demandant ce qui m’arrivait, alors que je bondissais dans la pièce — comme on peut le faire après s’être cogné l’orteil sur le pied d’un meuble. J’étais conscient du grotesque de mon attitude, mais sans pouvoir rien y faire. Un quart d’heure plus tard, l’affaire était tirée au clair, ma peur n’avait été qu’un mirage, et la « faute », un effet de mon imagination. Je ressentis un soulagement mêlé d’un peu de honte. Pourquoi une réaction tellement disproportionnée ? Sans doute je voulais donner une image de parfait professionnalisme, et l’émotion qui m’avait débordé disait ma peur de mal faire, d’être pris en faute, le poids de l’enjeu symbolique que je mettais dans cette situation. Je ne m’accordais pas le droit à l’erreur. Sur l’instant, c’était comme si ma vie en dépendait ! Une histoire d’égo, en somme.
Il en est ainsi des émotions : elles sont puissantes et, souvent, trompeuses.
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Pourtant, il est difficile de ne pas agir sous leur impulsion. Soit qu’on cherche à s’en distraire, à les éviter en essayant de « penser à autre chose » (ce qui ne marche jamais vraiment, dans la mesure où nous n’apprenons alors rien de ce que nous fuyons, et qui ne manquera pas de revenir, d’insister), soit qu’on tente de se barricader, de les enfouir et de les recouvrir d’un lourd couvercle de fausse indifférence, une impavidité d’apparence : faire « comme si » on n’en était pas affecté (et le risque alors est de créer une pression intérieure toxique par un effet cocotte-minute).
Les pratiques méditatives ont le mérite de nous apprendre à voir ces phénomènes avec une plus grande clarté, à établir en soi une distance, un espace qui permet de ne pas se laisser envahir. Si je peux donner une analogie : les émotions sont comme une tempête qui nous bouscule. Se souvenir de la leçon du roseau : ne pas y opposer de résistance est le meilleur moyen de limiter les dégâts. Mais ne pas non plus fuir l’expérience : la voir se déployer puis s’évanouir en se transformant. Ne pas s’y attacher, ne pas s’y complaire, ne pas s’identifier à notre état émotionnel du moment, au risque d’aggraver les choses.
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Lorsque l’on se sent débordé, dépassé, ce qui bien sûr peut arriver, on peut au moins tenter de retrouver l’ancrage du corps, dans le corps, dans l’instant présent. Car l’émotion, on l’oublie trop, est une affaire du corps, de physiologie. On peut donc tenter de retrouver un certain équilibre par exemple en faisant un sport ou quelque pratique concrète qui a le don de nous absorber et de nous calmer. L’émotion, peur, colère, angoisse, désarroi, peut aussi se réguler grâce à une relation apaisante avec des personnes qui nous aident à relativiser une situation dont on aurait tendance à exagérer les conséquences, ou simplement nous adressent quelques mots sincères de compassion ou de consolation, et se tiennent à nos côtés. Tout autant que les mots, et sans doute bien plus que les arguments de la raison, c’est la connexion qui s’établit avec une autre énergie, le sentiment d’empathie, de compréhension et de partage, qui est le remède.
La méditation développe certainement une capacité à se distancier des émotions envahissantes, mais elle ne les éradique pas ! En apprenant à créer un espace vaste en soi, on apprend — au moins un peu, car il n’y a là rien de magique —, à ne pas réagir immédiatement à la peur ou la colère. Dans cette conscience large, même au coeur de la perturbation émotionnelle qui nous agite, on pourra accepter la tempête intérieure qui s’est levée, sans vouloir disqualifier son propre ressenti, ni reporter le problème ou son humeur sur quelqu’un d’autre, etc. Alors, souvent, comme une vague, l’émotion atteint la grève, reflue puis se dissipe.
Bonjour Marc et ses lecteurs, ah!, mon coach m a dit que quand la moutarde me monte au nez... il faut laisser faire et se demander si cela ne met finalement pas un peu de piment dans la relation! Puis digérer... A moins que j ai mal compris le message :-). En tous cas, c est un vrai travail que cette mise à distance, mais même les premiers pas sont bénéfiques. Comme si pour se rapprocher, il fallait passer par une mise à distance... un beau tango émotionnel.
En lisant Yuval Harari Homo deus, une piste est peut être donnée via un passage sur ce que nous croyons être notre libre arbitre, entre contrôle conscientisé et heuristiques.