Le goût du paradoxe
De la thérapie stratégique à l'usage du koan, les paradoxes nous aident à ne pas prendre la réalité pour ce qu'on voudrait qu'elle soit
Il ne faut rien redouter tant que le succès, écrivais-je dans un précédent post.
Vous êtes sérieux ? m’a demandé quelqu’un.
Oui, et non.
J’avoue : j’ai un goût pour les affirmations paradoxales, en particulier quand elles prennent le contrepied des injonctions du développement personnel, comme des illusions sur la performance et le “succès”.
Est-ce que le succès c’est d’être influenceur à Dubaï ? (Il paraît que oui)
Face à un paradoxe, on se demande si c'est du lard ou du cochon. Il provoque une forme d'incertitude, plutôt que d’asséner une soit-disant "vérité". En plus de nous éloigner d’une vision figée des choses, les paradoxes établissent une tension : ils renversent la charge de la preuve, et nous désorientent. Ils ouvrent la possibilité de la “logique floue”, non analytique, qui aide à penser large.
En interrogeant nos préjugés, ils nous aident à constater les contradictions dans lesquelles nous sommes pris. Nos dissonances cognitives.
Nous vivons une époque paradoxale. On se désole de voir le climat se dérégler, mais quand on allume sa télévision, ce ne sont qu’injonctions et séductions pour acheter des voitures, voyager à l’autre bout du monde, ou toute autre manière de chauffer encore plus l’atmosphère. Il faudrait savoir ce qu’on veut ?
La vérité n’est jamais univoque
Un bon paradoxe expose les failles, et l'absurdité de certaines de nos croyances. C’est pour cela qu’il peut avoir une vertu thérapeutique, être un vecteur de changement, comme l’ont montré Paul Watzlawick et l’école de Palo Alto, ou le psychothérapeute Giorgio Nardone. (Je pourrais citer dans cette veine le dernier livre d’Arnaud Tonnelé, Comment réussir à se planter plus vite et plus efficacement.)
Les paradoxes nous disent que pour penser un peu, il faut toujours penser contre soi-même. Ils nous sortent du confort de la répétition, en mettant en doute nos habitudes confortables, notre routine de penser. Ils font des étincelles, parfois de la lumière, et parfois aussi, des court-circuits.
La mécanique du koan
Le court-circuit, c’est un peu la fonction du koan. Si vous ne connaissez pas : dans le Zen, les koans sont des affirmations paradoxales, ou apparemment absurdes, ou parfois des questions qui n'admettent aucune réponse satisfaisante.
Voilà ce qu’en dit Wikipedia :
Dans la culture japonaise zen, le koan est une phrase paradoxale, destinée à nous faire réaliser les limites de notre logique. Elle semble absurde, pourtant elle va nous contraindre à une gymnastique nouvelle. Son but est de nous éveiller à une autre perception de la réalité. — (Bernard Werber, L'Encyclopédie du savoir relatif et absolu : Livres I à XI et suppléments, Éditions Albin Michel, 2009)
Le koan est leçon (énigmatique) que le maître propose à son disciple qui se trouve embourbé, bloqué, dans son chemin spirituel, et qui tourne en rond.
Quelques koans célèbres :
Que fait le bruit d'une seule main qui applaudit ?
Lorsqu'il n'y a plus rien à faire, que faites-vous ?
Ne regarde pas les choses ordinaires d'une manière ordinaire (Dogen).
Une illusion peut-elle exister ?
L'arbre qui tombe dans la forêt fait-il du bruit si personne ne l'entend ?
Les koans sont une forme d'aphorisme, de haïku, un judo verbal. On peut les tourner dans tous les sens pendant longtemps. Ils sont une manière d'arrêter la pensée quand elle s'égare, ou qu’on s’épuise à chercher une vérité qui n’existe pas, alors qu’il suffit d’agir.
Faites !
Vous vous demandez quoi ?
Eh bien je vous le dis : la pièce est au fond de la rivière.
Bonne journée !
Un bel outil quand il est utilisé avec bienveillance, mais ne trouves-tu pas que son efficacité dépend aussi beaucoup de la réceptivité de la personne à qui on s’adresse, notamment la capacité à prendre de la hauteur? La culture du pays y fait beaucoup aussi, ce qui ne lasse pas de surprendre!