Force du mimétisme
Les codes et le langage d'un nouveau milieu deviennent très vite une seconde peau
Le mimétisme est un puissant ressort de notre changement, et d'autant plus remarquable qu'il opère à notre insu. Il n’y a pas besoin d’être comédien pour puiser dans notre environnement, sans cesse, des attitudes, des mots, des gimmicks, qui viennent colorer l'éventail de nos comportements.
Le milieu dans lequel nous évoluons, les personnes que nous fréquentons, et par dessus tout celles que nous admirons, fournissent des modèles dont nous reproduisons les particularités. Avec les codes vestimentaires, le langage est le lieu premier des effets de ce mimétisme.
Pour fréquenter des secteurs d'activité et des milieux professionnels variés, je sais que la première chose à faire pour s'intégrer dans un groupe - le premier pas d'une adaptation réussie - consiste à acquérir le jargon, qui tisse entre ses membres un ciment de connivence invisible. Il suffit d’utiliser certains mots, d’une certaine façon, pour faire savoir aux autres que vous en êtes.
On intègre ainsi une nouvelle culture d'entreprise.
Quiconque a un jour changé de poste sait de quoi je parle. Cela se fait sans effort. Il suffit d'entendre comment les gens parlent pour que naturellement, insensiblement, on apprenne à utiliser le même langage, et ainsi à faire partie du système.
Savoir se faire accepter
Donc, pour se faire accepter, commencer par ouvrir grand ses yeux et ses oreilles. Ce travail est autant celui de l'ethnologue, à l'affût de ce qui lui est familier comme de ce qui l’étonne dans le comportement de la population qu’il observe, que celui du comédien, attentif toujours à repérer des façons d’agir ou de se mouvoir, des mimiques dont il enrichira son propre jeu. Au bout d'un temps plus ou moins long, on aura digéré les codes culturels du nouveau milieu. Non seulement nous y serons dès lors à l’aise, mais toute personne extérieure, n’en disposant pas, sera immédiatement repérée comme « autre ». Ainsi est le système immunitaire des groupes humains, entre anticorps et antigènes.
Le jargon d'un dirigeant
Je me souviens d'une rencontre avec un dirigeant. Dans le premier échange avec lui, ce qui me frappa fût la quantité de mots incompréhensibles pour le commun des mortels qu’il employait, apparemment sans conscience de leur effet sur son interlocuteur. Son vocable était un sabir financier parsemé d’expressions techniques et autres acronymes ésotériques (nearshoring et delayering me précipitèrent, l’entretien fini, vers une recherche dans Google). Son langage semblait manifester aussi bien l’appartenance à un certain univers (celui du dirigeant) que son absence d’écoute de l’interlocuteur - avec un minimum d’empathie, il aurait compris que son jargon pouvait échapper à quelqu’un qui n’était pas du sérail.
Je pouvais aussi interpréter un tel comportement comme une tentative de prise de pouvoir, l’imposition d’un dialecte propre à établir une domination : je ne fais pas l’effort d’aller à ta rencontre, c’est à toi de te plier à mes usages.
Je me trompais.
En l’occurence, cet homme énergique que j’appris à connaître et à apprécier, était lui-même en pleine adaptation. Je compris plus tard que l’utilisation de ces mots, qui m’avaient semblé ériger une muraille entre nous, était pour lui sa manière de les apprivoiser. Il était en train de s’approprier la tache qui lui était demandée d’accomplir (et qui lui pesait) : une délocalisation et une réorganisation assortie de coupe dans les effectifs. En répétant ces mots à l’inconnu que j’étais, et qui lui offrait son oreille, il s’appropriait ses propres objectifs, et il le faisait dans les termes d’une novlangue qui, au fond, n’était pas encore la sienne.