Journal de confinement
A voir le monde depuis le fond de son canapé que l'on n'a jamais autant fréquenté, on forme des vœux pour que cette crise change des choses, voire transforme notre système politique et économique. « Demain sera différent ». « Nous ne recommencerons pas comme avant ». « Il faudra tout réinventer ». Il y a un désir que cette période soit aussi une rupture dans nos habitudes, une occasion de faire du neuf. Le retour du calme dans les rues, un air plus pur et le soleil d’un printemps précoce font bourgeonner de nouvelles idées. Puisque l’on a su tout arrêter, pourquoi ne pas en profiter pour repartir d’une manière différente ?
Mais le changement espéré est-il vraiment pour demain ? Et si changement, quel changement ?
Le risque serait de se contenter de caresser un espoir de changement. Se dire que le bon sens prévaudra et provoquera des prises de décision utiles pour aller vers une société plus inclusive et sobre, plus respectueuse de la beauté de la planète. C’est le principe du voeu pieux : espérer que le changement vienne par lui-même, dans l’idée que la transformation, au fond, appartient aux autres. C’est se fourrer le doigt dans l’oeil jusqu’au coude, comme dirait le capitaine Haddock. Les choses changeront, bien sûr, comme elles changent toujours, mais pas nécessairement dans le sens qui paraît souhaitable.
Si vous ne vous contentez de regarder le monde à travers les informations soigneusement filtrées que l’algorithme de Facebook vous présente pour vous inciter à penser in the box, vous savez que votre voisin n’a pas la même conception du souhaitable que vous. Les adorateurs de l’énergie carbonée, les promoteurs de l’agrochimie, les financiers sans vergogne, et le surconsommateur qui sommeille en chacun de nous : tous sont dans les starting-blocks, prêts à bondir au moindre signal de déconfinement pour relancer la machine dans une orgie de terres rares et de plastique. Ils n’attendent rien d’autre qu’un retour au business as usual. Un discours anxiogène et culpabilisateur (« il faudra rattraper à marche forcée la croissance perdue ») nous y prépare déjà, cultivant le terrain pour une reprise sur les chapeaux de roue. Vite, réaccélérons ! Ainsi se préparent les burn-out de demain.
Le sens de cette course sans fin ? Qu’importe. C’est pourtant l’occasion, ce coup de frein, de se poser quelques questions. A quoi sert-il de courir comme nous le faisons ? Pourquoi une telle accumulation des richesses, quand on sait, comme disait ma grand-mère, qu’on a jamais vu un portefeuille courir après un corbillard ? Notre génération peut-elle se contenter de ce mot d’ordre « après nous le déluge » pour justifier la destruction de la vie sur la terre, sans songer à l’avenir ?
Ce virus qui affecte l’humanité a quelque qualité. Il nous aide à réaliser à quel point nous sommes destin lié avec des peuples éloignés mais tous embarqués sur le même vaisseau d’une croisière cosmique sur laquelle on ne s’amuse plus guère lorsqu’un microbe un peu collant s’y invite. Mais, s’il faut rester objectif, disons que cet épisode n’est qu’une parenthèse, un accident minime sur la route qui conduit au désastre climatique, une route sur laquelle nous risquons, je le crains, de continuer aveuglément nos excès de vitesse.