"I would prefer not to"
Est-ce que les aventures du scribe Bartlebly nous parlent de management ?
"I would prefer not to"
Telle est la phrase que répète Bartleby, le personnage inventé par le grand écrivain américain Hermann Melville (par ailleurs l'auteur de Moby Dick). Cette phrase a donné du fil à retordre aux traducteurs. Comment le dire en français ? “Je préférerais pas ?” Ou, sans doute mieux : je préférerais ne pas.
Vous conviendrez avec moi qu'il y a, dans la vie, objectivement, certaines choses qu'on préférerait ne pas faire. Des choses que nous faisons néanmoins, parce que c’est un devoir, ou une nécessité, ou peut-être simplement une habitude qu’on a prise. Mais revenons à Bartlebly.
I would prefer not to. Je préférerais ne pas. C'est ce qu’un jour Bartleby répond au narrateur, son patron, un avocat de Nouvelle Angleterre qui, dans son cabinet d'expertise juridique, emploie une demi-douzaine d'employés. Parmi eux, Bartleby a été, jusque-là, son meilleur expert, son collaborateur le plus efficace et le plus doué. Son métier consiste à rédiger des contrats commerciaux, à écrire toute la journée, des lettres manuscrites, des actes juridiques, etc. C’est un véritable travail de moine-copiste (la nouvelle de Melville se situe dans une époque antérieure à l'ordinateur et à la photocopieuse). Or, un jour, Bartleby oppose à son patron, qui veut lui confier une tâche, un refus poli, sans raison particulière, sans justification d’aucune sorte, une réticence exprimée sans agressivité, mais dont son patron perçoit qu’elle cache une volonté inflexible - qui se révèlera finalement désespérée.
Le récit se trame autour du questionnement de cet employeur qui ne sait comment réagir à la résistance de son employé, au désintérêt qu’il manifeste tout à coup vis-à-vis de son travail, et qui s'interroge tant sur la conduite à tenir que sur le sens de cette attitude. Melville situe sa nouvelle sur le terrain du “management”, de la relation hiérarchique, mettant en scène la communication devenue impossible entre un patron et son employé. Et, de fait, cette histoire pourrait faire écho à certaines situations de coaching. Il n’est pas rare de rencontrer des managers dépités, furieux, découragés ou impuissants face à la passivité butée d'un collaborateur dont ils ne savent se dépêtrer (et la situation inverse est évidemment aussi courante !). Combien de conflits et de tensions prennent racine dans l'apparente mauvaise volonté de l'un ou de l'autre protagoniste, dans sa résistance, qu'on ne sait comment circonvenir ? Faudrait-il mieux communiquer avec cette personne ? Faut-il sanctionner ? Et comment ? Faudra-t-il, faute de mieux, suivre une formation sur la "gestion des personnalités difficiles" (sic) pour trouver une nouvelle méthode ? Faut-il s’efforcer de comprendre ce qui se passe dans la tête de l’autre, au risque de verser dans une psychologisation sauvage (et généralement vouée à l'échec) ? Ou carrément lâcher l'affaire, et ne plus rien demander au récalcitrant ? Ah les noeuds au cerveau. Ah l'irritation. Ah la culpabilité. Au fond, n’est-ce pas ma faute si cette personne n'est pas motivée ? Peut-être que je ne suis pas un bon manager ? Dur métier.
Mais cela c'est la vie réelle. Et dans la vie réelle, en cas de difficulté relationnelle, il y a toujours des solutions, des options, des choses à tenter, et à apprendre, pour sortir par le haut d’une situation qui semble bloquée. Rien n’est tout noir ou tout blanc comme dans la nouvelle de Melville. Bartleby le scribe est une fable. Une fable philosophique. Si le personnage de Bartleby est devenu un archétype universel, c’est parce que son refus dit quelque chose de notre condition humaine. I would prefer not to. Le refus qu'il exprime, si délicatement, des tâches requises par son office fait bientôt tâche d'huile, il s'étend peu à peu à tous les domaines de son existence, au point que Bartleby finit par ne même plus se lever de sa chaise. À quoi bon ? Bartleby, dépressif, ou mélancolique, se laisse mourir. Son poli refus de faire, cette non-préférence pour l’action, ce rien dans lequel il s’enfonce, interroge le lecteur. Qu'est-ce qui a du sens ? Qu’est-ce qui est absurde ? Bartleby, pour une raison qu’on ne connaîtra jamais, a soudain décidé de ne plus jouer le jeu.
Excellente approche, la première qualité du manager est l'écoute, même si nous accueillons des choses que nous n'avons pas envie d'entendre ou qui changent nos plans . Un employé peut avoir un avis ou une envie.