Il faudrait parler de la subtilité que l'on éveille par l'hypnose. Ce laisser aller qui commence par le choix que l’on fait de porter (in)volontairement son attention sur ses perceptions, sur l’intérieur de soi, ce monde du sentir qui est habituellement invisible, comme la coque du navire qui trace son chemin, sous la surface, sous la ligne de flottaison.
C'est toute une part de notre rapport au monde, non pas secrète mais simplement discrète, qui surgit alors, dès que s’y porte le faisceau du regard intérieur. Entrer dans ces sensations, sans les juger ni les interpréter, juste les noter, s'y rendre présent, c’est une tentative que l’on peut faire pour habiter les choses différemment — et peut-être découvrir qu’il est possible, dès cet instant, de le faire avec plus de justesse et d’équilibre, moins de tension, une force qui ne soit pas du forcing.
« Habiter le monde », je l’entends ici dans la ligne ouverte par François Roustang, c’est-à-dire dans son sens le plus concret, et selon la formule consacrée : dans l’ici et maintenant. Habiter ? Un corps qui se meut, qui marche et respire, qui se pose ou se lance vers l’avant, qui résonne avec d'autres êtres, avec des lieux, des espaces, un sol, un certain ciel (avez-vous pris le temps de regarder le ciel aujourd’hui ?). Tout cela qui a lieu en même temps que notre esprit ne cesse d’élaborer des pensées, des images, des projections, à jet continu, toute une agitation mentale qu’il est bien difficile de ne pas confondre avec le tout de la réalité.
Cette proposition, habiter le monde, pourra sembler d'une simplicité confondante, simpliste même. Et pourtant.
Pourtant. Tant de distraction. Tant d’évitement. Tant d’occupation.
Il y a la course à la performance, à la production, dans un monde qui perd le sens de ce qui vaut, au seul profit de ce qui compte. Il y a les écrans, les machines, les sollicitations qui nous pressent d'accélérer, de nous dépêcher, de ne rien manquer (« extension du domaine du FOMO »). Il y a cette guerre de l'attention, que décrivent de nombreux observateurs, une guerre dont nous sommes les proies, et nos enfants les victimes. Car on y laisse des plumes : on y émousse sa capacité de concentration et de créativité, d’émerveillement devant la vie la plus simple, de disponibilité à qui nous fait face.
Sans doute il serait trop simple d’en vouloir seulement à ces contraintes extérieures, à un contexte de civilisation. Car il y a nos propres cachots, nos angles morts, nos habitudes et les croyances héritées, tous les plis de notre esprit, qui font notre singularité (et dont on ne se défait jamais tout à fait, même après les avoir analysés dans tous les sens) mais parfois, aussi, obstacle à l’espoir que l’on aurait d’une expérience plus légère des choses.
Alors, de temps à autre, juste se laisser vivre, se foutre la paix (pour reprendre l’expression de Fabrice midal). Il y a pour y réussir, une infinité de chemin que l’on peut emprunter. Et parmi eux, cet apprentissage d'une attention au soi du corps, à cette étrange créature que l'on est et qu'il vaut la peine d’apercevoir, de temps à autre, derrière les voiles de l'agir et les illusions de l'identité. Comme il arrive de regarder un arbre, un chien ou, à l’horizon, le profil d’une montagne : avec une infinie curiosité.
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NB Pour prolonger cet article, vous pourrez également lire mon interview dans Libération :