Assise, comme une lumière
Le récit initiatique de François Cheng est aussi une méditation sur la figure de François d'Assise
Vous connaissez François Cheng, membre de l’Académie française, écrivain, poète et calligraphe, dont l’une des particularité est d’être né Chinois. Cette ascendance, son rapport particulier à la langue française et sa double culture marquent son oeuvre.
Je l’ai découvert il y a quelques années à travers ses Cinq méditations sur la beauté (Albin Michel, 2006) dont j’ai retenu cette pensée toute simple, qui a la profondeur de l’évidence : que ce qui est beau est aussi vrai que bon, que la beauté est une merveilleuse et infaillible boussole morale.
La couverture de son nouveau livre, Assise, une rencontre inattendue (Albin Michel), m’a évoqué fugitivement l’image du pratiquant zen qui s’installe sur son zafu pour sa méditation quotidienne. Zazen signifie "assise tranquille". Le livre aurait-il pour ambition de réconcilier le chrétien et le taoïste ? En réalité, il y est question de de la ville italienne d’Ombrie et de son plus célèbre représentant, Giovanni di Pietro Bernardone, fils ainé d’une riche famille de marchands du XIIe siècle, passé à la postérité sous le nom de Saint François d’Assise, pauvre parmi les pauvres.
Pour le jeune Cheng, chinois égaré à Paris à l’aube des années soixante, aux prises avec une solitude infernale, la difficulté de la langue, une bourse vide, un voyage en Italie sera le moment d’une révélation, et d’une renaissance à lui-même.
« Comme tous ceux qui, depuis la plaine de l’Ombrie, voient Assise pour la première fois, je fus saisi, en sortant de la gare par son apparition dans la clarté d’été, par la vision de cette blanche cité perchée à flanc de colline, suspendue entre terre et ciel, étendant large ses bras dans un geste d’accueil. »
Son récit, pudique, est celui d’une révélation. Le saisissement d’un homme qui découvre, par la grâce d’une rencontre spirituelle, que malgré la nostalgie de son pays natal, il a enfin trouvé sa place, là, dans ce coin d’Italie, et par extension en Europe, en France, et n’importe où dans le monde. Lors de sa naturalisation, une dizaine d’année plus tard, Cheng choisira - en hommage au saint et à sa patrie d’adoption - de se prénommer François.
C’est autour de ce bouleversement et de la rencontre avec l’ombre de Saint François, qu’il poursuit (ou qui le poursuit) dans les rues d’Assise, dans ses églises, dans son ciel et ses jardins, qu’est construit ce petit livre fluide.
Le pèlerinage de Cheng n’est pas sans évoquer la tradition chinoise de la visite à l’ermite à la montagne, narrée dans de nombreux poèmes taoïstes. Dans ces histoires, souvent, au terme de son périple le voyageur trouve porte close, le sage est en randonnée.
Mais, écrit Cheng, « cette rencontre manquée, loin de décevoir, peut être l’occasion d’une révélation : l’absence physique de l’ermite permet au visiteur de vivre sa véritable présence dont tout le lieu est imprégné, et par là de communier en profondeur avec son esprit ».
De la même manière, François Cheng explore l’esprit des lieux imprégnés de la vie du saint. On le suit du haut en bas de la colline d’Assise, retrouvant, par-delà les siècles, la trace de François dans les endroits qu’il a habité, où il s’est isolé, les églises où il s’est recueilli. Peu à peu, se dessine sous nos yeux la figure d’un mystique qui marque les esprits de son temps par sa considération des déclassés, des misérables, des malades (les lépreux, objets alors d’un rejet et d’une crainte absolue), son exigence extrême, brûlante.
Une découverte (du moins pour le mécréant que je suis), c’est la dimension lyrique du François d’Assise, manifestée dans son Cantique des créatures, qui clôt le livre, étrange et lyrique ode au soleil, aux étoiles, au feu, à l’eau, à la terre et à la mort. « François était troubadour » écrit Cheng. J’y ai pour ma part entendu une véritable invocation chamanique. Cet appel au monde le plus concret, cette reconnaissance des éléments primordiaux d’une cosmogonie universelle, on se dit qu’elle ne pouvait manquer de toucher profondément l’âme d’un homme d’Orient à la recherche de sa nouvelle langue.