Il m'est arrivé de l'écrire ici, j'ai un problème avec l'optimisme. Mais il faut que je précise : j'ai un problème avec l'optimisme quand il est forcé (c'est-à-dire béat). L'injonction « Il faut positiver ! » a le don de m'exaspérer. C'est l'enfer pavé de bonnes intentions. On se rassure à peu de frais, en détournant le regard des aspects déplaisants ou dangereux d'une situation. On se berce d'illusions badigeonnées de rose. Et moi ça ne me rassure pas du tout. C'est comme le sucre que les industriels ajoutent dans tous les produits, pour créer une addiction sournoise, une douceur facile, qui a l'apparence du bien et qui fait du mal.
Ça n'est pas parce qu'on ne veut pas voir quelque chose qu'elle n’existe plus. Personnellement, ce qui me rassure, c'est de me faire une idée précise de la situation que je rencontre, des facteurs de risques, des dangers, et aussi des ressources dont je dispose pour faire face (et qu'on peut avoir tendance à minimiser si on est trop… pessimiste). Bref, j'en suis resté à ce vieux proverbe qui dit qu'un homme averti en vaut deux.
*
L'optimisme forcé a un autre nom : le déni. Le déni de réalité. C'est un poison de notre époque. La vérité factuelle se délite sous nos yeux, attaquée de toutes parts, brouillée par des acteurs puissants et organisés. Le déni est profitable, il permet de continuer le business as usual quand nous aurions besoin, collectivement, de changements majeurs. Dormez, bonnes gens ! Alors on l'organise, on l'encourage, on l'exploite. Voyez ces firmes parasites qui engluent les consommateurs-scrolleurs que nous sommes dans des réalités biaisées, creuses, obscènes, tordues par les algorithmes et l’IA. Ce sont des bulles de déni.
Nier les faits qui dérangent n'empêche pas qu'ils produisent des conséquences concrètes. On peut nier le dérèglement climatique d'origine humaine autant que l'on voudra, insulter et menacer les scientifiques qui l'observent, détruire les institutions qui le mesurent, cela n'empêche pas qu'il se produise, parce que la thermodynamique de l'atmosphère n'est pas une question de perception individuelle ou d'opinion personnelle, mais une réalité physique. Le réel est têtu, c'est là son moindre défaut.
Psychologiquement, le déni se définit comme le "refus de reconnaître la réalité d'une perception traumatisante". C'est un mécanisme de défense inconscient, une protection face à une réalité si angoissante qu'elle déstabilise. Mais cela ne veut pas dire qu'il faille s'y lover comme dans un cocon et fermer toutes les fenêtres. On peut tous être dans le déni, mais on peut (il faut) en sortir ! Il faut continuer de tenir à la vérité, et encore plus dans une époque contaminée par le fake !
*
Et puis, il y a le pessimisme. Est-ce que le pessimiste est lucide ? Mais il est lui aussi aveuglé s’il tombe du côté où il penche (en réalité, on est d'accord, c'est toujours l'excès qui fait problème). On qualifie de pessimiste une personne dont le regard est tellement toujours tourné vers ce qui ne va pas, qu'elle ne cesse jamais d'imaginer comment les choses pourraient encore aller plus mal. Et là, malheureusement il n'y a pas de limite. Parce que je vous confirme : ça pourra toujours être pire.
On dit qu'il y a deux sortes de pessimisme. Un pessimisme actif, qui est attentif au danger, pour pouvoir agir par anticipation, et s'en préserver autant que possible. Si on construit des scénarios-catastrophe, ce n'est pas pour se faire peur, mais pour savoir comment agir efficacement maintenant. Et puis il y a un pessimisme eschatologique, si l'on peut dire, la croyance profonde et absolue que les choses, de toute façon, ne peuvent qu'aller plus mal. Il a peu de chance de nous rendre actif : si la fin du monde est pour demain, autant baisser les bras.
Pour reprendre mon exemple (qui est l'éléphant dans la pièce, aujourd'hui, même si l'espèce humaine continue de tourner autour en sifflotant et en regardant ailleurs, l'air dégagé) : on peut, je crois, être pessimiste quant à la capacité des humains à répondre intelligemment au défi inédit, et global, posé par les effets de leur activité sur la biosphère (dont nous dépendons en tant qu'espèce vivante) mais cela n'implique pas que la fin du monde soit pour demain. Disons qu'il est réaliste de dire qu'on se prépare des moments compliqués. Mais il y a des moyens d'agir (et aussi de cesser d'agir dans le mauvais sens). Positiver à tout prix, c'est par exemple Monsieur Duplomb, bien nommé auteur de la loi du même nom, se réjouissant du réchauffement climatique, qui serait "bénéfique" parce qu'il devrait permette à l'avenir, d'après lui, de nouvelles cultures auparavant impossibles dans sa région. (Bon, mais là, ce n'est plus de l'optimisme, juste le cynisme ordinaire d'un politicien prêt à tout pour servir certains intérêts privés.)
*
Bon. Mais je vois que je m'emporte, et ça n'est pas bien. Est-ce qu'il faut s'angoisser et se rendre malade ? Est-ce qu'il faut se culpabiliser et se couvrir de cendre ? Je vais vous dire : chacune et chacun fait comme il peut. On en est tous là. (Tiens, si le sujet vous intéresse, je vous recommande le petit livre Politiser l'éco-anxiété du psychosociologue Jean Le Goff, aux éditions du Détour, il y interviewe de jeunes adultes bouleversés par les destructions écologiques, qui oscillent entre l'épuisement et la colère, la dépression à la joie de l'action collective, entre le pessimisme et l'optimisme, en somme).
Comme dit Gramsci dans une formule célèbre, l'idéal serait d'allier le pessimisme de l'intelligence à l'optimisme de la volonté. Il faut de l'intelligence pour voir les risques, et il faut de la volonté pour agir. Ce sont des choses complémentaires. Nous avons besoin de tous les points de vue, et de coopération, et de bonne volonté / combativité.
*
Pour finir, je voulais dire un mot de l'espoir. L'espoir, comme sentiment nécessaire (parce que le désespoir est une chose terrible, quelqu'un a dit qu'il était un sentiment encore pire que la haine). L'espoir, aussi, comme sentiment réaliste, et cela contrairement à l'optimisme forcé que j'évoquais au début de ce post et qui ne l'est pas du tout.
L'espoir, c'est la croyance dans la plausibilité du possible. Il est plausible que les choses se passent différemment de ce qu'on pouvait redouter. Ça n'est pas sûr, mais il y a la part du hasard. L'espoir est réaliste parce qu'il tient compte de l'inattendu, du fait que nous ne contrôlons ni ne connaissons tout, et encore moins l'avenir.
L'optimisme, à l'inverse, c'est croire à la nécessité du probable. Croire que les choses doivent bien se passer. Qu'il ne peut en être autrement. Et ça c'est une grande illusion qui prépare de grandes désillusions. Car Il n'y a aucune fatalité du bien. L'Histoire montre que les choses parfois tournent très mal, y compris pour les optimistes. La condition humaine est tragique. Et nous avons sous les yeux tous les jours le spectacle déprimant de la folie humaine qui se déchaîne ces temps-ci.
*
Cet été, j'ai lu un peu de Simone Weil (la philosophe), sans doute est-ce la raison de ce post. Elle écrit par exemple ceci qui m'a frappé :
La question de Beaumarchais : "Pourquoi ces choses et non pas d'autres ?" n'a jamais de réponse, parce que l'univers est vide de finalité. (...) Les choses ont des causes et non des fins.
"Des causes et non des fins"... Les choses, nous dit-elle, n'ont pas de but en elles-mêmes. C'est nous qui leur donnons du sens. On passe sa vie à ça, à donner du sens à ce qui nous entoure, à donner du sens à la vie qu'on mène, à chercher la beauté du monde où qu'elle se trouve. Parfois, pourtant, on peut se sentir entraîné par certains mouvements contraires, emporté par le courant, à la manière dont on serait pris sans pouvoir résister dans un mouvement de foule qui nous pousserait dans une mauvaise direction. Et pourtant, malgré cela, malgré la catastrophe qui semble poindre, rien n'est sûr de ce qui nous attend, parce que justement "rien ne nous attend".
L'avenir n'est écrit nulle part. Il est incertain. Il est ouvert. Ça c'est toujours vrai. Et ça, c'est l'espoir.