L’heure, paraît-il, est à la bienveillance. Il est devenu rare de ne pas entendre vanter cette vertu quand on passe la porte d’une entreprise. Bienveillance s’est imposée avec la vague happy (happy officer, happy lab, happy technology). Si on en parle tant aujourd’hui, est-ce parce que nous avons le sentiment d’en manquer ? Peut-être y a-t-il quelque chose à rétablir dans les rapports humains, que nous réclamions ainsi, confusément, un supplément d’attention et d’indulgence ?
C’est un joli mot, mais comme tous les mots à la mode, « bienveillance » s’est un peu usé. On pourrait en choisir un autre. Dans le médico-social, on parle de « bientraitance » pour décrire les bonnes pratiques de soin, en particulier dans le contact des personnes âgées ou fragiles. C’est concret.
Et pourquoi pas « gentillesse » ? Le mot paraît un peu désuet, enfantin, pas du tout corporate. Pourtant la vraie gentillesse est un trésor.
Une vertu ambitieuse
Au sens fort, la bienveillance se rapproche de la compassion bouddhiste : une compréhension profonde, sans jugement, un amour inconditionnel et non possessif. C’est très ambitieux de prétendre à la bienveillance !
Le plus souvent, on l’entend simplement comme une attitude d’accueil de l’autre, un a priori de confiance, d’acceptation de la différence, quelle qu’elle soit. Un regard sensible, attentif aux qualités de chacun.
La bienveillance est une vertu profonde, mais les bonnes intentions ne suffisent pas à la démontrer. Il me semble qu’elle commence par cette chose simple, dans toute communauté de travail : respecter des règles de civilité, de politesse, qui sont la forme codifiée, ritualisée, de la bienveillance (et pour cela tellement importantes pour la vie en société). Heureusement c’est le plus souvent le cas.
Le masque de la gentillesse
Quand la bienveillance devient un mot d’ordre, elle revient à plaquer sur les visages le masque de la gentillesse. Elle peut aussi se teinter de quelque chose d’un peu sirupeux. Se prétendre bienveillant, dans ce cas, permet de se poser légèrement en surplomb, dans une attitude un peu paternaliste.
Certaines cultures d’entreprise qui se disent bienveillantes, ne sont que « feutrées ». On n’y élève pas la voix. Vous exprimez un désaccord, ou dénoncez un comportement inacceptable : on vous reprochera (avec le sourire) de manquer de bienveillance. Pas de vague, s’il vous plaît, pas de vague. Rien n’est plus violent, parfois, que la douceur du ton, le miel des mots policés.
Il ne faudrait donc pas confondre la bienveillance avec l’auto-censure et le sourire niais par lequel on se refuse à évoquer « les choses qui fâchent ». Rien de pire qu’un accord de façade quand il y aurait au contraire besoin de se frictionner un peu pour faire évoluer les points de vue. Pour autant que l’on recherche sincèrement l’intérêt commun, c’est parfois par un solide recadrage que l’on fait le plus de bien à autrui. Les chemins de la bienveillance ne sont pas toujours ceux que l’on croit.