Ce que j’ai appris du jeu d’échecs
Quelques leçons et principes pour prendre de meilleures décisions
Je suis un passionné du « noble jeu » depuis que j’ai douze ans. Quand je suis devenu journaliste, dans une première vie professionnelle, j’en ai profité pour assouvir ma curiosité, et rencontrer des stars du jeu. J’ai eu la chance d’interviewer Kasparov, et j’ai même voyagé jusqu’au Montenegro à la rencontre du légendaire et fantasque Bobby Fischer. Ce devait être en 1992, en pleine guerre de Bosnie, et cela reste un souvenir inoubliable. Mais je n’écris pas ce post pour vous raconter mes histoires d’ancien combattant ! Si le plaisir de jouer aux échecs ne m’a jamais quitté, je crois aussi que la pratique du jeu a fortement influencé ma manière de réfléchir aux situations et aux problèmes que l’on rencontre dans son existence. C’est cela que je voudrais partager avec vous aujourd’hui : quelques leçons et principes que les échecs m’ont enseignés, et qui sont autant d’inspirations possibles pour prendre de meilleures décisions.
Le pragmatisme
Chaque coup aux échecs est une décision que l’on prend, sous la contrainte du temps. On n’a pas le choix, et il en est de même dans la vie. (Ne rien décider, c’est décider quand même !) Sachant cela, le pragmatisme, c’est de savoir prendre des décisions « pratiques », réalistes, proportionnées, et qui tiennent compte du contexte. On ne peut pas toujours trouver le coup parfait, et il se peut qu’on n’en ait ni le temps ni le talent, alors il faut savoir jouer un coup suffisamment juste, qui vous laisse le plus d’options ouvertes pour la suite. Elémentaire, bien sûr, mais à ne pas oublier.
L’objectivité (La recherche de)
Aux échecs, tout est là, visible, devant soi, sur l’échiquier. Joueurs, spectateurs, tout le monde dispose de la même « information ». Rien n’est caché. Le hasard n’a pas sa place. Votre coup sera bon s’il s’appuie sur une évaluation exacte (objective) des forces et faiblesses de votre position et de celle de votre adversaire. Le stress, la peur (de gagner ou de perdre), l’excitation en vue de la victoire, le dépit d’avoir commis une erreur, l’égo, conduisent à une vision déformée de la réalité. On se voit mieux ou moins bien qu’on est. Se rapprocher de l’objectivité, cela commence par essayer d’analyser les choses froidement. (Le grand bénéfice d’un coaching est de pouvoir prendre ce recul sur les situations professionnelles ou personnelles, et ainsi clarifier sa vision des choses.) Les émotions que nous ressentons et qui nous agitent sont une donnée de la situation. Cela ne veut pas dire qu’on doive les laisser décider à notre place. Agir sous le coup de la peur, de l’énervement, de l’excitation ou du dépit, c’est risquer de mal calibrer sa réaction… et d’empirer les choses, ou de saboter un projet qui avançait bien.
Stratégie ou tactique ?
Tout le monde se gargarise de “stratégie”, mais en réalité, la différence est plus mince qu’on croit. Il ne sert à rien d’être grand stratège, de voir très loin, si l’on ne sait pas manoeuvrer à court terme et faire des choix concrets. Un mauvais tacticien n’aura pas le loisir de montrer ses capacités de stratège : la partie se terminera avant, et pas à son avantage. Donc une règle, qui vaut aussi pour conduire son existence : avancer pas à pas, avec ordre et méthode. Ne pas faire trop de plans sur la comète. Ne pas chercher à penser trop loin. (Je vois souvent en coaching des clients qui se perdent en anticipations complètement hors-sol, et qui finissent par s’interdire d’agir en fonction d’hypothèses tellement lointaines qu’elles n’ont même aucune chance, ou malchance, d’advenir. C’est beaucoup d’énergie brûlée en vain, d’où le point suivant :)
L’économie
Dépenser le moins d’énergie (utiliser le moins de forces possibles) pour accomplir les tâches nécessaires. Par exemple, pour assurer sa défense, n’utiliser que le minimum de troupes, de manière à se réserver des bataillons pour contre-attaquer. Incroyable parfois comment un seul cavalier bien placé à côté de son roi peut le prémunir des assauts de la dame adverse, qui est pourtant une pièce beaucoup plus puissante. Être économe demande de la créativité, c’est l’art de faire beaucoup avec peu. Je dirais même que c’est une forme d’esthétique (du côté de l’épure). Les mathématiciens parlent de l’élégance d’un théorème. Simplicité, clarté, précision … et astuce ! Telle est l’économie.
La coopération des pièces
Elle est essentielle, comme dans n’importe quelle équipe. Il s’agit de bien travailler ensemble. Une pièce isolée, qui n’agit pas en complémentarité avec ses collègues, est faible, sans impact sur le jeu — et en danger d’être mal défendue. Coincée sur le bord de l’échiquier, ou piégée derrière une chaîne de pions, elle se morfond loin de la bataille qui se déroule sans elle. Le bon général se reconnaît à sa capacité à coordonner ses forces, à les organiser de manière qu’elles agissent de concert, en synergie, chacune donnant le meilleur dans son registre. Donc connaître ses ressources, les qualités de chacune et chacun, et surtout créer des liens, une cohésion, ne laisser personne derrière. La résistance et le dynamisme de notre armée en dépend.
L’activité
La passivité est dangereuse. Voir la ligne Maginot. Laisser l’initiative à l’adversaire mène à la défaite. Mais attention : être actif ne veut pas dire sauter sur sa chaise en criant « action ! action ! action ! » ou « résultat ! résultat ! résultat ! » (suivez mon regard) - aux échecs, blabla et bullshit ne fonctionnent pas. Être attentif à l’activité de ses pièces consiste à manoeuvrer pour les installer sur les bonnes cases, d’où elles pourront exercer la plus grande influence sur le jeu. Être actif, c’est choisir dans sa vie une place d’acteur — agir donc en auteur, autrice, de son existence, quoique cela veuille dire pour vous.
La responsabilité
Nos décisions nous engagent. Un coup joué ne se reprend pas. Inutile de se morfondre ou de se culpabiliser quand on s’est trompé. La vie ne repasse pas les plats. Si vous êtes battu, c’est que l’adversaire était plus fort que vous ce jour-là. Vous n’avez à vous en prendre à personne qu’à vous-même. Votre responsabilité, c’est d’agir maintenant, donc en fonction de la situation telle qu’elle est, et non telle que vous la rêvez. Vous devez faire avec, même si la partie vous semble mal engagée (ça arrive). C’est aussi ça, être responsable.
L’apprentissage permanent
Toute défaite est une bonne occasion de progresser. Un adversaire plus fort est un maître qui nous enseigne. Et comme on tombe toujours sur plus fort que soi, on n’a jamais épuisé sa marge de progression et de découverte. Sinon la vie serait bien ennuyeuse, n’est-ce pas ?
Voilà. Et maintenant, c’est à vous de jouer 😊 !
Réflexions tjrs tellement perspicaces ! Bravo once again...